Disparu ?

Valéry Hardiquest

 

 

 

Allo, le 112. Bonjour. Que puis-je faire pour vous aider ?

 

Bonjour monsieur. Madame Marquenterre à l’appareil. J’aimerais signaler une disparition.

 

La personne est-elle mineure ?

 

Non. Il s’agit de mon mari.

 

Depuis quand ne s’est-il plus manifesté ?

 

Il a quitté la maison dans la matinée, aux alentours de dix heures.

 

À quelle date ?

 

Aujourd’hui.

 

D’accord…Si je peux me permettre, cela ne fait que… trois heures que votre mari est parti.

 

J’en suis bien consciente, mais avec le coronavirus et les règles du confinement, comprenez mon inquiétude.

 

J’entends bien madame. En temps normal, il faut attendre un délai de vingt-quatre heures pour signaler une disparition à la police.

 

Vous trouvez normal qu’un chat ait plus de liberté de mouvements que son maitre ?

 

Non madame.

 

Vous trouvez normal qu’il n’y ait plus d’embouteillages à l’entrée de Bruxelles depuis 15 jours ?

 

Non madame.

 

Et vous trouvez normal que je ne m’habille plus qu’avec des survêtements, tout sauf sexy, depuis ces mêmes 15 jours ?

 

Euh…

 

Tout ça pour vous dire que nous ne sommes plus en « mode » normal. Je suis inquiète pour mon mari et j’ai besoin de votre aide.

 

Je comprends madame. Ce délai de vingt-quatre heures est raccourci si le disparu a des soucis de santé mentale.

 

Il lui arrive de parler à ses rosiers quand il les taille, mais je ne pense pas que cela puisse rentrer en ligne de compte.

 

Non, en effet. Et vous ne parvenez pas à joindre monsieur sur son smartphone ?

 

Je lui ai envoyé plus de dix messages, via Messenger, WhatsApp et SMS, sans résultat.

 

Puis-je vous demander quel était le motif de sa sortie du domicile ?

 

Il est parti faire quelques courses alimentaires, à ma demande.

 

Oh ! Rassurez-vous madame, il est probablement occupé à attendre son tour dans la file. Vous n’êtes pas sans savoir que les magasins ont mis certains dispositifs en place afin d’éviter une trop grande promiscuité.

 

L’épicerie du village où il était censé se rendre n’est pas bien grande, à peine plus de 50 mètres carré. À part la sienne, je serais étonnée qu’il y ait une queue dans ce magasin.

 

Ah…Euh… Et vous ne pensez pas qu’il aurait pu en profiter pour… euh… passer à son travail pour récupérer certains documents.

 

Il est fossoyeur… Il ne risque pas d’être mis au chômage technique ni au télétravail.

 

Alors… Euh… Il est peut-être simplement allé mettre du carburant dans la voiture, histoire de faire d’une pierre deux coups.

 

C’est qu’il est parti à pieds. Il apprécie beaucoup la marche, surtout en ce moment. Les tensions sont nombreuses à la maison. Il y a parfois quelques éclats de voix qui dépassent nos pensées.

 

Ce confinement n’est pas évident, en effet. Pardonnez ma question indiscrète, mais concernant votre couple, serait possible que monsieur ait une maîtr…

 

Je vous arrête. Je sais pertinemment bien que j’ai fait allusion à des survêtements peu flatteurs, mais je ne vous ai pas parlé des merveilles qu’ils dissimulent.

 

Dès lors, je crains, madame, ne pas pouvoir vous venir en aide dans l’immédiat. Si dans quelques heures, vous êtes toujours sans nouvelle, recontactez ce numéro. Restez sereine, il est probablement allé marcher un peu et, avec les réseaux surchargés et les embouteillages sur le Net, son smartphone ne capte pas.

 

Merci monsieur. Kof, kof, kof, kof, kouuu ! Pardon.

 

Que voilà une vilaine toux ! Avez-vous contacté votre médecin ?

 

Bien entendu, avec tout ce qu’on raconte ! D’après le docteur qui m’a auscultée ce matin au téléphone, ce n’est qu’une petite pharyngite. Mais, je me soigne et je ne sors plus, comme il me l’a indiqué.

 

À ce moment précis, le Samsung de madame Marquenterre vibre, annonçant l’arrivée d’un message. Tout en restant en ligne avec le policier, elle se précipite sur l’appareil afin d’en découvrir la teneur. « Ma Bichounette, ne t’inquiète pas si tu ne me vois pas rentrer. Je vais bien. Je t’expliquerai tout ce soir. »

 

Toutes mes excuses pour le dérangement ! Mon mari vient, à l’instant, de m’envoyer des mots rassurants.

 

Vous m’en voyez ravi. À votre service madame. Au revoir et prenez bien soin de vous.

 


 

Plus tard dans la journée.

 


 

Maman ! Je viens de voir papa. Il me demande si je peux lui amener la couette qu’il a placée dans le séchoir ce matin.

 

Comment ça ? Mais, il n’est pas encore rentré ! Où l’as-tu vu ? 

 

Au fond du jardin.

 

Au fond du jardin ?

 

Oui. Si j’ai bien compris, il a préféré s’installer en quarantaine dans le cabanon, le temps que  ta toux ne soit plus qu’un vieux souvenir.

 


 

     Valéry Hardiquest

 

     Auteur engissois

 


 

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