Déconfinement

Alain Dubois

 

Aujourd'hui, comme chaque matin au lever, je m'installe sur la cuvette du WC de la salle de bain et j'ouvre mon smartphone. Sur l'écran, s'affiche un message en grands caractères "Surprise ! Voici le jour heureux du déconfinement", envoyé par Solidarité Transgénérationnelle. C'est l'organisme officiel des pouvoirs publics qui s'occupe d'aider les confinés à leur domicile, comme moi.

Confiné ! En fait "assigné à résidence".

 

 

Cela a commencé au printemps deux-mille-vingt, quelques semaines après les premières directives destinées à contrer la pandémie due au coronavirus baptisé Covid-19, un curieux nom associé à un numéro comme pour les rois, les reines ou les papes. J'ai reçu l'ordre des Autorités de rester chez moi et de ne sortir sous aucun prétexte; j'étais considéré comme personne à grand risque car âgé de plus de septante-cinq ans, prédiabétique et souffrant d'hypertension. Ils étaient bien renseignés. On allait prendre soin de moi pour tout, nourriture, boissons, médicaments, produits d'hygiène corporelle, produits d'entretien, bref tout. Je pouvais sortir au jardin mais garder une distance (ils appellent ça "distanciation sociale", cela me fait sourire) de deux mètres avec mes voisins avec interdiction de franchir la haie. A droite vivent un couple et leur fille adolescente qui ne sortent guère dans leur jardin, alors que leurs poules et lapins s'égarent fréquemment dans mes parterres fleuris, ce qui ne me plait pas, et derrière la haie du fond, une voisine plus agée que moi, jadis joueuse de tennis comme moi, mais aujourd'hui gravement malade, elle ne sort plus jamais. Par contre à gauche je suis séparé de la Maison de Police par un haut mur de pierres, vestige d'un très ancien bâtiment. Pas de contact suspect à craindre de ce coté-là.

Jardiner est autorisé, ils me fourniraient, disaient-ils, les plantes, les semences, les engrais, les outils que je commanderais. Je n'aurais qu'à déposer la tonte de la pelouse et les déchets de taille dans un grand sac chaque mardi tôt le matin sur le trottoir devant chez moi.

 

 

N'étant pas de nature rebelle je me suis soumis. Je me suis confiné. Solidarité Transgénérationnelle s'occupait de tout. Vraiment tout.

 

 

Ainsi quand je commandais un pain, je pouvais même choisir la boulangerie dans un rayon de quinze kilomètres, et il était sur mon seuil dès l'après midi. Le dimanche je recevais les petits pains dès huit heures. De même pour les petits gâteaux, religieuse, javanais ou autres, et encore tarte au riz, aux oeufs, aux prunes, reines-claudes, j'avais le choix selon mon goût, mes envies et les saisons.

 

 

Chaque jeudi midi, devant ma porte, je recevais ma commande passée en ligne chez Delhaize (à trois-cents mètres de chez moi) par l'intermédiaire de Solidarité Transgénérationnelle sur un formulaire préétabli qui reprenait mes achats habituels, y compris deux Bombay pour l'apéritif du soir (je ne bois jamais d'alcool avant la fin de Questions pour un Champion sur France 3), deux Johnnie Walker Red Label comme bonnet de nuit avant le coucher vers minuit trente. Parfois j'inscrivais une variante : un Picon et une bouteille de Bourgogne aligoté pour me préparer un picon-vin blanc. Questions vins de qualité, dans ma cave j'avais des réserves. Et plus étonnant, la semaine de mon anniversaire, sans que je demande rien, ils ont remplacé un Johnnie Walker par un Talisker 10 ans d'âge (c'est là ma préférence). Ils savaient ça aussi; bien renseignée la Solidarité Transgénérationnelle !

 

 

Malgré mon confinement, je restais relié au monde : tous les jours le journal "Le Soir", chaque jeudi Le Vif, la télé, le net, les réseaux sociaux me permettaient de suivre l'actualité. WhatsApp, Zoom ou Skype me maintenaient en liaison avec mon fils, et mes petites-filles. Se parler et se voir, rapproche bien plus que le téléphone. Merci l'évolution technologique! Bien que ...parfois, en les voyant se cajoler, se faire des mamours, j'avais au fond de la gorge un arrière-goût d'amertume, au fond du coeur un peu de jalousie ; eux pouvaient se toucher, moi pas.

 

 

Avec les amis et les amies je continuais à échanger par mail messages rigolos, coups de gueule, indignations, mais aussi mots de sympathie et d'affection. Pour les échanges plus personnels ou intimes, ceux des complicités particulières, il y avait Messenger en MP.

Avec Monique (une vieille amitié de bientôt soixante ans), avant le confinement, nous avions l'habitude, de passer ensemble un après-midi par mois, voir une exposition, nous promener à la Boverie, ou prendre un verre dans une brasserie ( nous en avons souvent changé). Fini tout cela. Nous avons donc convenu de passer avec l'aide de Zoom quelques heures ensemble une fois par mois en prenant un verre chacun chez soi. Et là aussi, comme avec mes petites-filles, l'accueil en se prenant dans les bras ou le bisou au moment de se séparer nous manquent. Et ça Solidarité Transgénérationnelle ne sait, hélas, rien y faire.

 

 

La consultation annuelle de l'endocrinologue a été maintenue à la date prévue. Mais elle s'est déroulée chez moi en visio avec la caméra du PC. Dix jours avant, une personne vêtue comme les cosmonautes qu'on voit à la TV lors des reportages dans les hôpitaux, est venue me faire une prise de sang. Des quelques paroles échangées, avec la voix modifiée par le masque, je n'ai même pas pu savoir si j'avais affaire à une femme ou un homme. La consultation s'est déroulée comme d'habitude, mais pas d'auscultation, ni de palpation. Je me suis déshabillé devant mon pc, je n'avais jamais imaginé faire cela un jour. Mais il faut dire que ces derniers temps, il se passait bien des choses inimaginables. Ainsi cette consultation. J'avais toujours entendu dire qu'un médecin qui ne touchait pas son patient faisait de la mauvaise médecine. Tout change. J'ai pourtant apprécié ces trente minutes en tête-à-tête avec mon endocrinologue habituelle qui me suit et me rassure depuis déjà dix ans. Merci Docteure !

 

 

Aujourd'hui donc est un jour très spécial, mon confinement se termine. Ce mercredi cinq avril, je suis libéré. Merci Solidarité Transgénérationnelle ! Dans quatre jours, c'est Pâques ... Pâques deux-mille-vingt-trois.

 

 

 

Alain DUBOIS

18 avril 2020